top of page
logo ouvert fond
Rechercher
  • karine khema

La méditation, cet outil pour voir...


Ce dont il s’agit, c’est de trouver qui nous sommes, car nous savons que nous ne sommes pas cette personne limitée et conditionnée qui agit dans le monde et qui se croit un « moi ». Nous ne sommes pas l’ego. À un certain moment dans notre quête, nous savons cela. Mais réaliser qui nous sommes est une autre paire de manche, entraînés que nous sommes dans la force des habitudes et dans l’apparente évidence des formes. L’identification au moi et à l’histoire de notre personne est une illusion puissante, collante. Or la nature Infinie, Totale et Libre de la réalité constitue le fondement de l’être, de ce que nous sommes ; elle est, de tout temps, toujours présente, qu’on la réalise ou non. Ainsi elle se révèle parfois ou souvent dans nos vies, et dans ces instants nous sommes heureux, complets : le vent dans une prairie ondulante, un coucher de soleil à couper le souffle, des instants de grâce dans nos vies, tant dans des expressions d’amour que de souffrance … Dans ces moments, nous nous sommes arrêtés et notre attention a lâché l’objet pour se fondre dans le pur sujet, d’où silence mental, arrêt des interprétations et jugements. Seule reste l’expérience de l’instant.

Lorsque nous avons goûté à ces instants de plénitude – et tous nous les avons expérimentés une fois ou l’autre dans nos vies, nous cherchons, consciemment ou non, à les reproduire. Si nous cherchons le bonheur dans le monde de la forme à l’extérieur de soi, dans le matérialisme (quand bien même serait-il spirituel), notre expérience est teintée d’insatisfaction, de désir, de lutte et de conflits. Pourtant nous savons bien que c’est à l’intérieur qu’il faut regarder ; des millénaires d’expériences mystiques, religieuses ou spirituelles en ont témoigné et l’ont transmis, nous savons bien que le Royaume de Dieu est à l’intérieur. Regarder à l’intérieur, voilà ce qu’est la méditation. S’arrêter, stopper le monde (comme diraient les Aborigènes d’Australie), s’asseoir un instant pour sortir du mouvement automatique habituel. Et regarder. Voir ce qui se passe en soi quand on se sèvre des distractions du monde extérieur en un premier temps, puis des distractions mentales intérieures ensuite.

Qu’est-ce qui surgit et qui doit être vu puis lâché afin de pouvoir enfin se détendre et résider dans la paix fondamentale et l’amour que nous sommes ?

La première partie de la phrase que vous venez de lire décrit une technique et la deuxième reflète la nature de la réalité. Je dis « reflète », tel un miroir, car ce à quoi nous accédons dans la pratique de la méditation est ce qui rapproche au plus près de la réalité une, non-séparée, non-née, illimitée, infiniment libre, non-liée au temps et à l’espace. Cette dernière – qui n’est pas un objet que l’on peut saisir, rendre compte, (sinon cela serait à nouveau une séparation, un « je-sujet » qui voit « ça-l’objet »), ne dépend pas d’une pratique ou d’une technique. Disons qu’elle se révèle, se réalise, elle est. Elle a souvent été comparée à un accident (ou à une grâce) et la méditation est ce qui crée les conditions qui nous rendent le plus enclin à l’accident.

Détaillons donc le processus de cette technique : voir ce qui surgit et lâcher-prise pour ensuite résider dans le fondement de l’être que nous sommes.

Commençons donc par regarder à l’intérieur. Nous portons d’abord notre attention (dans le bouddhisme on la nomme sati) sur la respiration. L’attention va descendre de la tête, siège du mental, vers la respiration. Et nous ressentons une sensation de gravité, dans la zone du ventre, ou vers le coeur. Et puis nous laissons l’espace s’ouvrir à la fin de l’expir. On laisse s’ouvrir l’espace. En d’autres mots on se laisse résider dans l’espace fondamental qui est à l’arrière-plan de notre monde mental fait de toutes sortes d’idées, pensées, sensations de soi etc…. Ce monde mental et virtuel prend généralement toute la place dans notre expérience habituelle. Ici on place notre attention sur ce qui sous-tend le mental, ce qu’il y a derrière. Mais que faire lorsqu’une pensée attire notre attention ailleurs (ce qui, sans un peu de pratique, risque bien de constituer la majeure partie de notre expérience) ? Lorsque nous sommes partis à la poursuite d’autre chose plutôt que nous reposer dans la paix fondamentale ? Réalisons d’abord ce qu’est une pensée. Une pensée c’est quelque chose qui au fond n’existe pas, qui est évanescent, qui peut se dissoudre comme de la vapeur dans l’air ; c’est une énergie vide et qui ne tire sa réalité et son contenu que du crédit que nous lui accordons. C’est l’attention qu’on donne à une pensée qui fait qu’on colle à elle, qu’on voyage avec elle, la rend réelle, la densifie. Et c’est déjà une chose importante que de réaliser qu’il est tout à fait possible de dissoudre la pensée. Donc que faire lorsque dans notre exercice de méditation, alors que nous avions l’intention de résider dans notre espace fondamental, que faire lorsque nous vient une pensée et qu’imperceptiblement nous nous y sommes accrochés et l’avons densifiée ? Eh bien on utilise deux qualités (ce sont nos ressources, nos armes) qui au fond n’en sont qu’une : karuna, la compassion et le lâcher-prise. Et ces deux choses ensemble que sont karuna et le lâcher-prise constituent ce que, dans le christianisme on appelle le pardon. Non pas le pardon « moi ici et toi là-bas et je te pardonne, toi qui es à l’extérieur de moi », mais le pardon dans le sens où je me pardonne ma fausse croyance, ma fausse interprétation, je me pardonne d’avoir cru, d’avoir « acheté » cette chose illusoire, cette pensée à laquelle je me suis accrochée. Compassion pour moi finalement, compassion pour cette énergie qui colle aux flux mentaux. Ensuite, en vérité presque en même temps car cela découle de ce pardon-compassion : le lâcher-prise. On lâche l’intérêt pour ce qui nous a séduit, intéressé, emmené. À l’image de l’eau qui coule : je laisse partir cette pensée, je laisse partir cet attachement qui va, comme de l’eau, se répandre dans l’espace et comme de la vapeur se dissoudre. Je laisse les formes mentales à elles-mêmes, je les laisse seules, livrées à elles-mêmes pour une fois. Parfois c’est difficile, on n’arrive pas à le faire. Il est utile alors de se souvenir et de réaliser que on a toujours le choix. J’ai le choix de poser mon attention sur un objet extérieur et de le suivre ou de tourner mon attention vers la source de mon être, le témoin qui regarde tout cela. C’est un choix, une décision, au fond c’est moi qui décide de me lier à ces distractions : parce que j’y trouve un plaisir, une facilité, une voie toute tracée, une habitude. Je peux décider de reprendre mon pouvoir et, en utilisant la compassion, le pardon, le lâcher-prise, je choisis de rester dans mon espace de paix. À partir du moment où c’est mon esprit qui produit la pensée, c’est mon esprit aussi qui lâche l’attachement à la pensée, réalisant son aspect illusoire et fumeux. Et si c’est impossible, si on n’y arrive pas du tout, si l’énergie est très agitée, alors on applique une fois de plus karuna, la compassion : j’échoue constamment ? n’en faisons pas un problème et soyons gentils avec nous-mêmes ! S’énerver contre soi, se juger, penser qu’on n’y arrive pas, penser ! Voilà une autre pensée qui nous a attrapés et à laquelle on s’est identifié ! En faire un problème, c’est à nouveau densifier, donner de la réalité à quelque chose qui n’en a pas. On donne donc simplement de la compassion et de la compréhension à cet état de fait, à cette situation, avec légèreté (cette légèreté est elle-même un lâcher-prise). Jusqu’à ce que l’on ait la force de décider de résider dans la paix fondamentale. Et ma paix fondamentale est un espace en expansion, j’expands, cela s’expand, de plus en plus. Cette expansion écarte les voiles, les rideaux des pensées, les sentiments de moi ou de mon égo. Ou, pour le dire autrement, ces rideaux, ces voiles se dissolvent d’eux-mêmes, un peu comme un rideau qui s’ouvre donc, ou un voile se devenant transparent, telle une fumée, de l’eau ou une vapeur. Seule demeure l’expansion. Un autre moyen utile, s’il est difficile de décoller notre attention et de se stabiliser dans notre paix fondamentale, c’est de se souvenir de notre respiration, un peu comme en une étape intermédiaire : on se décolle de la pensée qui nous fait voyager hors de soi, on revient à un mouvement plus proche du corps, plus physique (moins mental), au mouvement qui touche à la fois le corps subtil et le corps physique et qui est la respiration. Et ensuite de là on laisse à nouveau l’espace s’ouvrir et s’expandre à la fin des expirations, on le laisse envahir tout. Compassion et lâcher-prise à chaque instant... Peu à peu, avec l’approfondissement de la pratique, les pensées ou formations mentales perdent en force, elles ne sont plus vraiment formulées en mots ou concepts et se présentent sous forme de vagues d’élan intérieur et d’énergie mentale, des états mentaux teintés, de plus en plus subtils, et le recours à la compassion et au lâcher-prise est destiné à ces vagues-là. À ces teintes aussi on envoie compassion et lâcher-prise, jusqu’à ce que l’expansion de notre paix fondamentale se stabilise et qu’on s’y repose.

C’est cela le travail de guérison de l’esprit. L’esprit se libère parce qu’il retrouve sa nature originelle expansive, paisible, pure, lumineuse, d’amour, une. Il est libre car il n’est lié à rien, il est une immensité vaste, une Vacuité où les objets vont et viennent et qui peuvent tous être vus jusqu’à ce que finalement plus rien ne s’élève dans la conscience. « Nous sommes en réalité cette immensité de Liberté, mais nous nous identifions à des objets et à des sujets non-libres et limités, qui tous peuvent être vus, qui tous souffrent, et dont aucun n’est ce que nous sommes », écrit le grand philosophe spiritualiste américain Ken Wilber.(1)

La méditation sert ainsi à nous réveiller de notre rêve, notre rêve mental, qui se surimpose sur tout et se plaque sur ce que l’on est réellement. C’est pour cela qu’on parle de retrouver sa nature : nous ne l’avons jamais perdue puisqu’on est, on EST, comment pourrait-on ne pas être ? (Y a-t-il quelqu’un de vivant sur terre qui n’est pas ?) Mais notre esprit est imprégné d’une certaine couche mentale de « crasse », une couche de poussière, de contaminations, de rêves mentaux illusoires. Il existe donc des étapes, des techniques pour retrouver le chemin, à partir de là où on s’est perdu pour revenir à ce que l’on est. Alors se réveiller du rêve c’est juste réaliser que ce n’est qu’un rêve. Un peu comme lorsqu’on est assis dans notre fauteuil au cinéma : on peut être complètement identifié, pris dans le film, être en plein dans l’action, palpiter, ressentir, mais on peut à tout moment décider de faire un pas en arrière et se sentir dans son fauteuil, regarder la situation à droite à gauche, ses voisins, l’écran devant soi, sans être dedans, voir que c’est un film, que l’on est dans un cinéma. C’est la même chose : dans son rêve mental, on s’identifie à tout ce qui nous arrive, toute cette histoire de sa vie, tous ces événements : … c’est grave et ça me fait souffrir et c’est réel et c’est important et je dois et il faut et je m’efforce et tous ces « je », en personnages du film… La méditation sert à faire ce pas en arrière, sortir du film pour se sentir dans son fauteuil. Et pour cela il y a des aides, un pas-à-pas, un memento (qui selon les traditions, les cultures et les époques prennent différentes formes et vocabulaires mais qui toutes montrent du doigt la même direction), à savoir, comme exposé ici et dans le cas de la méditation Vipassana de la tradition bouddhiste Theravâda : comprendre ce qu’est une pensée, qu’elle peut se dissoudre, qu’elle est une sorte de vapeur ou d’énergie virtuelle ; voir qu’on peut utiliser sati, notre puissant outil de l’attention, la question étant de choisir où on la place ; faire ce pas en arrière en commençant par se rapprocher du corps, respirer, sentir le corps et déjà on est moins loin dehors, on est plus proche des sensations, du corps, on ressent les émotions, les sensations physiques, la respiration ; voir ensuite, grâce à sati toujours, l’émergence des pensées, la source de ce rêve, comment il naît, comment cela se passe lorsqu’on colle et qu’on part avec en voyage, s’en rendre compte, voir comment cela s’estompe ; et lorsque l’esprit se stabilise, se détendre, lâcher les prises et permettre aux voiles de s’ouvrir : l’espace en expansion est là, prêt à s’approfondir.

Donc méditer c’est passer de l’extérieur à l’intérieur et une fois qu’on est à l’intérieur, c’est lâcher-prise pour résider dans cette toile de fond, expérimenter ou réaliser ce qui fait notre toile de fond et ce que nous sommes, c’est-à-dire une expérience immédiate. À partir d’une position de Grand Témoin, pour finalement ne même plus se ressentir ou s’expérimenter en tant que Grand Témoin (c’est encore une relation Sujet-Objet) mais expérimenter l’immédiateté, l’intimité totale avec le monde et voir que l’on EST le monde, qu’il n’y a pas de séparation entre moi et la montagne que je vois, entre le supposé moi-sujet et le supposé objet vu : juste vision, son, sensation… immédiatement ressentis et expérimentés. Et incroyablement (mais ne le savions-nous pas, ne serait-ce qu’intuitivement ?), notre personne se dissout dans cette Conscience infinie et radiante. Alors – et je cite à nouveau Ken Wilber, « alors le Mystère se révèle, le visage de l’Esprit sourit en secret, le Soleil se lève enfin dans notre coeur, et la Terre devient notre corps, et les galaxies pulsent dans nos veines tandis que les étoiles illuminent les neurones dans la nuit de notre âme, et l’on sait que plus jamais nous ne chercherons une simple théorie pour ce qui n’est autre que notre Visage Originel ».(2)


1 Ken Wilber, Une brève histoire de tout, Ed. de Mortagne 1996, p.296.

2 Ken Wilber, Une Théorie de Tout, Ed. Almora 2000, p.204.

8 vues0 commentaire
bottom of page